Claudia et Bruno Züst, Rohrbachgraben, BE
De la Suisse orientale à l’Emmental avec armes et bagages
Franziska Schawalder – Claudia et Bruno Züst rêvaient d’une ferme depuis de nombreuses années. Leur rêve est devenu réalité il y a deux ans et demi quand ils ont acquis la ferme Eggenhof à Rohrbachgraben (BE). La transformation de la maison d’habitation et de l’étable a certes duré deux ans et demandé beaucoup d’énergie, mais ils sont heureux et passent beaucoup de temps avec leurs vaches allaitantes.
« Le lac de Constance nous manque un peu, mais c’est tout », réfléchit Bruno Züst en buvant un café à la table de la cuisine. Jusqu’à la mi-décembre 2020, ce couple originaire de Suisse orientale vivait à Lutzenberg (AR). Là-bas, ils avaient une vue dégagée sur le lac et l’horizon lointain. Alors que leur nouvelle demeure se trouve au fond de l’Emmental, à la ferme Eggenhof à Rohrbachgraben. Si je n’avais pas eu de GPS fiable, je ne serais probablement jamais arrivée là-bas. C’est le conseiller Pius Eggenschwiler qui a attiré mon attention sur le couple : « Je
connais deux personnes qui parlent à peu près le même dialecte que toi et qui ont repris une ferme il y a bien deux ans dans une tout autre région. » J’aurais pu serrer Pius dans mes bras ! Quelle belle histoire. Voilà un couple qui abandonne pays et professions pour réaliser le rêve commun de posséder sa propre ferme. Sans hésiter, j’ai décroché le téléphone et j’ai rapidement décidé de rendre visite aux deux nouveaux Emmentalois. Depuis toujours, je suis fascinée par les personnes qui ont le courage de concrétiser leurs rêves et leurs visions.
Une seule nuit pour basculer d’une vie à l’autre
« Le 18 décembre 2020, nous sommes partis avec armes et bagages pour emménager à l’Eggenhof. Lorsque le chauffeur du camion de déménagement a demandé mon aide au téléphone, j’étais un peu dépassé, car je ne connaissais pas encore vraiment cette région. Mais finalement, je l’ai retrouvé et j’ai pu le guider jusqu’à la ferme », se souvient Bruno, sourire aux lèvres. De telles histoires,
ce couple en a à revendre. La transition de l’ancienne à la nouvelle vie a duré exactement une nuit. L’ancien propriétaire de l’Eggenhof souhaitait changer de métier. Le soir de l’arrivée du couple Züst, il a encore curé une dernière fois l’étable et a pris congé le lendemain matin. « Nous avons eu la chance de reprendre un troupeau de vaches paisibles. L’ancien propriétaire s’est bien occupé des animaux », explique Claudia. Les seniors, qui ont vécu à la ferme pendant de nombreuses décennies, ont eu plus de mal à faire leurs adieux. Ils viennent de temps en temps et le mari aide volontiers avec la grue à foin. Bruno et Claudia lui en sont reconnaissants. La ferme, située dans la zone de montagne 1, possède 20 hectares de prairies (dont 6 en location), 2 hectares de forêts, 48 noyers et 100 arbres fruitiers.
La bonne offre les a convaincus
Claudia et Bruno rêvent d’avoir leur propre ferme depuis qu’ils se sont rencontrés en 2009, dans un restaurant de montagne sur le Grabserberg. Ils se sont ensuite mariés en 2011. Tous deux ont grandi dans une ferme. Claudia et ses deux frères à Werdenberg dans une exploitation d’engraissement de veaux et de négoce de bétail. Cette amie des animaux avait environ six ans lorsque son père a repris la ferme de son grand-père. Après la scolarité obligatoire, elle a suivi une formation de bouchère-charcutière, suivie d’une deuxième formation d’employée de commerce. Bruno a quant à lui grandi avec quatre frères et sœurs dans une ferme à Lutzenberg. Après un apprentissage de polymécanicien, le quinquagénaire a effectué un deuxième apprentissage d’agriculteur. Comme son frère a repris la ferme de ses parents, il a fondé sa propre exploitation de travaux agricoles à l’âge de 20 ans. Tous deux ont beaucoup travaillé et aimé leur travail. Ils ont voyagé ensemble dans le monde entier et aiment se remémorer cette époque, mais ne regrettent absolument pas leur ancienne vie. Pris dans le train-train quotidien, on risque bien souvent de faire passer ses rêves au second plan
ou de ne pas (ou plus) trouver le courage nécessaire pour les réaliser. « Lorsqu’une de mes amies est décédée d’un cancer à 56 ans, cela m’a vraiment secoué. Quand faut-il vivre ses rêves, si ce n’est maintenant ? » Ils ont alors pris leur courage à deux mains et suivi fidèlement leur plan A, à savoir trouver une ferme. Ils se sont inscrits sur différentes plateformes (association de petits paysans, succession de ferme, etc.) et se sont donné jusqu’à fin 2020 pour trouver. Ils ont bien visité l’une ou l’autre ferme, mais rien ne leur convenait. Et le plan B ? « Il n’y en avait pas », répond Bruno en riant. Heureusement, peut-être. Peu avant d’enterrer le plan A, cette offre s’est soudain présentée. « Cela nous a vraiment motivés, mais nous devions nous décider assez rapidement », se souvient Claudia. L’ont-ils déjà regretté ? Tous deux répondent par la négative. Bien sûr, il y a eu des périodes difficiles pendant les grandes transformations de la maison d’habitation. Et quand ce fut le tour de l’aménagement de l’étable, ils ont parfois atteint leurs limites. Quand une partie de l’habitation du bas s’est trouvée démolie, ils ont occupé le logement à l’étage, désormais loué comme logement de vacances depuis un peu plus d’un an. Eux-mêmes habitent l’appartement de 3,5 pièces du rez-de-chaussée. Leur nouveau foyer est maintenant très joli et ils bénéficient de la main verte des anciens propriétaires seniors pour leur jardin fleuri que Claudia peut maintenant façonner tout à loisir.
« Rohrbachgraben : agréable et attachant »
Ils ont tout repris, sauf le tracteur. Même les 15 vaches allaitantes de l’époque. « Nous nous sommes tout de suite attachés à elles », raconte l’agricultrice de 45 ans, qui aime ses quadrupèdes plus que tout. Elle passe beaucoup de temps avec elles tous les jours, les brosse et connaît toutes leurs particularités. Lorsque le troupeau de production a passé six semaines au pâturage permanent pour la transformation de l’étable, elle a rendu visite aux animaux et les a caressés tous les jours. Cela a suscité de l’étonnement chez les voisins, tout comme Bruno qui fauchait « pieds nus », ce qui est une pratique courante en Appenzell mais pas forcément dans l’Emmental. « Malgré nos particularités, nous avons été bien accueillis par la population locale. Nous nous sentons vraiment bien. À l’entrée du village se trouve un panneau portant l’inscription ‘Rohrbachgraben : agréable et attachant’. C’est vrai à 100 % », confirme Claudia. Depuis qu’ils ont déménagé dans l’Emmental il y a un peu plus de deux ans, ils ne sont plus retournés qu’en de rares occasions en Suisse orientale. Il faut dire qu’ils n’en avaient pas du tout le temps. « Pendant deux ans, notre ferme était en chantier », explique Bruno. Il n’est donc pas étonnant que les artisans aient été parmi leurs premiers clients pour la viande. Peu avant ma visite, ils ont abattu leur troisième Natura-Beef. Les locataires du logement de vacances sont aussi de bons clients, la location marche bien et constitue d’ailleurs une source de revenus importante.
« Nous apprécions nos hôtes. Ils sont une ouverture sur le monde pour notre ferme. Certains préfèrent rester à l’écart tandis que d’autres aiment nous accompagner dans l’étable », explique Claudia.
La paysanne me présente fièrement ses six poules Chica, Rosa, Susi, Marie, Berta et Lisa. Elles sont toutes différentes et leurs œufs sont donc multicolores. De beige à vert menthe en passant par le brun chocolat, il y en a pour tous les goûts. Si l’enthousiasme de Bruno pour la volaille reste modéré, les enfants des vacanciers en sont ravis. Ils ont notamment contribué à donner un nom à chaque poule. La ferme compte aussi trois chats. Luna, qu’ils ont amenée du Lutzenberg, est une vraie diva, Nicki, un chasseur de souris hors pair qui connaît le coin comme sa poche, et Lena qui faisait partie de la ferme.
Saucisse de veau à rôtir de Saint-Gall
Après le repas de midi, avec au menu une saucisse à rôtir de leur pays de Saint-Gall – un régal pour les papilles soit dit en passant – nous sommes allés visiter l’étable Claudia a préparé une infusion de camomille. Le petit veau Fina, âgé de deux jours, ne tète pas correctement et est faible. Rien ne perturbe la vache allaitante, Fee. Même ma présence dans la box ne la dérange pas. Elle savoure son foin.
Claudia fait boire la tisane au veau et des granules homéopathiques. On constate un premier effet : soudain, Fina se lève, je la caresse sous le ventre et sur le dos. Cela semble lui faire du bien, il s’active, s’ébat et nous fait rire. Quel beau moment, nous sommes soulagées. Claudia et Bruno passent beaucoup de temps à l’étable, si bien que se séparer d’un animal n’est pas chose facile : « L’abattage est dans la nature des choses. Il est donc d’autant plus important qu’ils aient une belle vie à l’Eggenhof. » On le voit tout de suite. Certaines de leurs 14 vaches allaitantes suitées sont très affectueuses. C’est aussi le cas du veau Edi, qui est un véritable espiègle. Pour moi, vivre de tels moments est un cadeau. En ce qui concerne le troupeau, ils aimeraient arriver peu à peu à le porter à 18 vaches allaitantes issues de leur propre élevage.
« Une communication ouverte et honnête est nécessaire »
Avant de prendre congé, je désire encore savoir quel est le secret qui se cache derrière la réussite d’une reprise de ferme comme celle-ci. « En premier lieu, une communication claire, ouverte et honnête entre le vendeur et l’acheteur, ce qui a été le cas pour nous, et nous avons beaucoup apprécié », conclut Bruno. Cette franchise et cette honnêteté nous ont certainement aussi aidés à découvrir notre nouvel environnement. Ainsi, les nouveaux arrivants
ont rendu visite à pied à un nouveau voisin tous les dimanches. Rien d’étonnant donc à ce que le voisinage se soit rapidement habitué à
ce couple au dialecte particulier qui caresse le bétail et fauche pieds nus.